Mars Red Sky, engagement longue durée

Mars Red Sky, engagement longue durée

En poursuivant son accélération initiée en 2007, celle d’un processus de mutation, de puissance et d’énergie, Mars Red Sky ne s’est jamais éloigné des lois de l’astrophysique. De sa paragenèse – trois musiciens issus d’univers distincts entrés en collision – formant une comète visible à l’oeil nu dans l’espace-temps, la formation bordelaise poursuit son inexorable trajectoire dans l’incommensurable cosmos. L’essence même du groupe pourrait avoir une filiation avec le livre Les Sables de Mars de Arthur C. Clarke. Chaque disque constitue l’émergence d’un imaginaire transmuté en mots et musique, où dissonances et mélodies se côtoient sous les feux de distorsions, en un flux impétueux et viscéral. Contrairement aux connotations associées au Stoner, Mars Red Sky ne cesse d’élargir les multiples dimensions visuelles, sonores et vocales. Entretien avec le trio à la veille de la sortie de son nouvel album Dawn Of The Dusk.

Avant Mars Red Sky, vous aviez individuellement une solide expérience dans le milieu rock. Quel a été l’élément déclencheur qui a permis votre rencontre et la formation du groupe ?

Julien (guitare/chant) : La formation du groupe remonte à plus de 20 ans. Avec Jimmy, on faisait de la musique chacun de notre côté, puis on a rencontré Ben qui a été le premier batteur de Mars Red Sky. On avait flashé sur sa façon de jouer, au point qu’on avait tous les deux très envie de collaborer avec lui. On a alors parlé de jouer ensemble, et l’idée nous est venue de faire une musique oscillant entre drone et doom. Les premiers titres ont été composés dans un laps de temps très réduit. Puis, Ben en a eu marre, il avait un boulot à Paris, mais il nous a encouragés à continuer. Vu qu’on avait très souvent croisé Mat, on lui a proposé de se joindre à nous. J’étais convaincu par le fait de l’avoir vu littéralement transformer un groupe de potes quelques temps avant. Ils avaient eu plusieurs batteurs mais quand Mat les a rejoint, le niveau n’était plus du tout le même.
Jimmy : Comme le dit Mat Gaz, le niveau d’un groupe tient souvent de celui du batteur. Je suis complètement d’accord avec ça !

Comment êtes-vous venus à la musique ? Quel a été votre apprentissage ?

Mat : En ce qui me concerne, avant même de jouer du punk rock, j’ai commencé de manière classique dans une école de musique, avec des instruments pas forcément rattachés aux musiques amplifiées. Un jour, j’ai pris des cours de batterie et là, j’ai eu comme un déclic. Un peu plus tard, il y a eu un moment où je me suis retrouvé musicien alors que ce n’était pas mon but. Quand on a fondé Headcases à la fin des années 90, on avait envie de faire du grunge, du bruit, quelque chose de non conventionnel. C’est donc bien plus tard que j’ai fait le lien entre toutes ces expériences et que j’ai pris conscience que je pouvais me proclamer musicien. Tout ça se confronte aujourd’hui : au sein du groupe, on sait quand il faut être studieux, ou quand on peut se permettre de sortir des sentiers battus. Ça ne fait pas très longtemps que je peux en parler comme ça et que j’en suis conscient.
Jimmy : Enfant, j’ai été initié au solfège et n’ai pas touché un seul instrument pendant six mois. Du coup, j’ai très vite abandonné. Je me souviens que, sur le chemin de l’école, il y avait la maison de ce prof de musique hyper chiant qui avait explosé suite à une fuite de gaz, et j’étais content ! (rires) Ce n’est que plus tard, quand je suis arrivé à la fac de Bordeaux que j’ai repris un cursus musical. Je me suis retrouvé dans les cours de la Rock School Barbey, je me suis mis à jouer de la basse, un instrument qu’on m’a imposé pour une reprise de Christian Death. Du coup, j’ai arrêté jusqu’à me retrouver à jouer avec deux bons musiciens. Moi, ce qui me plait, c’est vraiment la pratique, acheter un instrument, trouver le nom d’un groupe, avoir le désir de faire quelque chose de très organique. Tout ça, je peux l’assouvir complètement aujourd’hui au sein de Mars Red Sky. Les gars me laissent beaucoup de champs sur la direction artistique, et j’ai le meilleur des deux mondes : je n’ai toujours pas appris, mais j’ai vraiment la chance de jouer dans un groupe qui tient la route. Normalement dans un trio, il n’y a pas de point faible, donc j’ai fini par être ‘fort’ à ma manière. Cela dit, il faut dire l’importance de l’apprentissage aux plus jeunes. À force d’avoir des idées qui me venaient en tête mais qui n’arrivaient jamais dans les doigts, j’ai vécu pas mal de frustrations. Et suivant les tempéraments, ça peut être problématique.
Julien : Ce qui a été fondateur pour moi, c’est le fait d’avoir vécu aux Etats-Unis. Vers 8 ans, avec mon frère, on a découvert MTV et son lot de groupes hair-metal : Guns n’ Roses, Metallica, Def Leppard… C’est à partir de ce moment-là que j’ai voulu faire de la musique. J’ai débuté au saxophone dans l’orchestre de l’école, puis je suis parti dans autre chose de façon plus ou moins autodidacte : on m’a appris les premiers accords, mon père m’avait acheté une VHS du bassiste Nathan East, donc je me suis initié aux walking-bass et c’est vraiment devenu une obsession. J’ai découvert le picking, j’ai passé des heures à composer…
Jimmy : Depuis 1998 qu’on se connait avec Julien, on partage cette obsession pour la mélodie, pour des mentors bien identifiés comme Elliott Smith.

On vous a souvent qualifié de stoner, une appellation que je ne partage pas du tout, comme vous je crois. Je parlerais plutôt de heavy prog, de doom, avec des influences cinématographiques… Quelles sont les véritables influences revendiquées par le groupe ?

Julien : On pourrait citer énormément de choses. Sleep, Electric Wizard, Pink Floyd, jusqu’au jazz aussi… La littérature au sens large pour ce qui est des textes, mais je n’ai pas de genre de prédilection…

D’ailleurs, tes textes sont très poétiques. À travers les mots, tu arrives à restituer en anglais à la fois une signification et une rime…

Julien : Oui, c’est vrai. Je ne sais jamais trop d’où je vais partir, mais j’ai des tonnes de carnets où je prends des notes. Maps of Inferno, par exemple, s’inspire d’un ouvrage de Giovanni Battista Piranesi, un architecte dessinateur italien qui avait imaginé un livre de prisons imaginaires, des dessins complètement délirants à la Maurits Escher avec d’immenses ruines, des cages, des dédales.
Jimmy : On s’en est inspirés pour l’artwork notamment. Mais cette porosité entre le titre du disque et les textes de Julien, c’est nouveau pour le groupe. Jusqu’au récent Ep, les textes restaient assez mystérieux. Aujourd’hui, on en parle un peu plus, on partage, on parle pas mal politique aussi dans le camion…
Julien : Oui, il y a des niveaux de lecture qu’on pourrait qualifier de ‘poélitiques’ !

Sur The Final Round, le chant y est plus grave, prophétique, les parties instrumentales massives. Quel sujet abordez vous dans ce titre ?

Jimmy : On lutte contre toutes les formes de fanatisme. Ça décrit ni plus ni moins un monde de merde. J’écris très peu de textes mais ici, le trait est grossi, il y a plein d’images – certaines très personnelles – qui viennent et qui seront peut-être interprétées différemment selon les gens. Je l’ai écrit à ma manière, de façon à contrebalancer un peu la façon dont le groupe s’exprime habituellement. C’est un peu plus gros sabot, même si les gars étaient d’accord. Par contre, le thème est très proche de plein de morceaux écrits par Julien, qui parlent d’oppression, des systèmes de domination, de faim dans le monde…
Julien : Ça coïncide bien avec la structure du morceau précédent qui finit en doom, version fin du monde.

Dans Maps of inferno, un titre que l’on retrouvait déjà sur l’Ep avec Queen of the Meadow, il y a une patte dark folk qui commence à s’imposer sur certains passages. D’ailleurs, l’album se termine sur un petit clin d’oeil…

Julien : Exactement ! C’est un clin d’oeil à cette fenêtre du morceau. Tu sais, on ne met pas la musique dans des cases. On joue ce qui nous passe par la tête et si, à un moment donné, on ressent le besoin d’ajouter des voix fantomatiques, des touches de piano, on va le faire quel que soit le genre de musique. On se laisse aller, on se fait plaisir.
Jimmy : Sur Maps of Inferno, il y a, avec l’invitation d’Hélène, la volonté d’un décloisonnement par rapport au travail de Julien, à tout ce qu’il a fait ou fait encore, que ce soit en solo, avec Victoriol ou Calc par le passé. Les plages cinématiques existaient déjà avant, contrairement au fait d’assumer ces chants aux harmonies folk qu’on tord quand même un peu pour ne pas dépayser. Moi, j’ai ressenti ça comme une fête de famille où l’on repeint les murs à plusieurs.
Julien : Le final, Heavenly Bodies, a un côté impressionniste avec ses divers arrangements. On a joué avec plein de couleurs, comme sur un tableau. En fait, on a rallongé un morceau qui était très court, en lui ajoutant un début et une fin. Et toutes ces parties peuvent exister individuellement.
Jimmy : Ce laisser-aller, c’est exactement ce qu’on faisait habituellement sur des Eps plus expérimentaux. Découper un long morceau au format tryptique, c’est aussi ce qu’on aime faire. Ça conceptualise un peu le truc. On s’amuse aussi comme ça, pas qu’en faisant de la musique.

Depuis Stranded In Arcadia, vous avez acquis une sonorité spécifique et reconnaissable qui vous rend unique. Vous avez surtout ce chant presque méditatif. Julien, d’où provient ce phrasé vocal ?

Julien : C’est le principe de base du groupe. Dès le début, on a voulu faire une musique lourde, avec une voix claire et mélodique. En termes de contrastes, j’aime beaucoup My Bloody Valentine et Bardo Pond, où les murs de guitares déferlent sur des voix éthérées. J’ai toujours aimé les mélodies vocales un peu alambiquées, un peu à la Robert Wyatt, les groupes de rock progressif comme King Crimson…

Votre longévité vous donne raison : vous êtes l’un des premiers groupes qui a maintenu cette musique sans jamais se répéter. Personnellement, je considère Dawn of the Dusk comme un magnum opus.

Mat : Merci, ça fait plaisir parce que c’est vraiment ce qu’on cherche !
Jimmy : C’est compliqué d’avancer parce qu’une fois que tu as évolué, tu gardes une idée mais tu t’es quand même déplacé. C’est un peu comme l’échiquier de la politique française : on a beaucoup déplacé la droite et maintenant, quelqu’un qui est très modéré, était il y a dix ans un énorme conservateur. Donc il faut réussir à se déplacer tout en gardant une forme de modération.

Le soin de chaque pochette a été confié à Carlos Olmo. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette fidélité ?

Jimmy : D’ailleurs, on retrouve celle de Dawn of the Dusk jusque dans notre scénographie (il nous montre alors que le groupe est en résidence, ndlr). Jusque-là, j’étais plus en charge de définir notre signature avec Carlos. À la base, on lui avait donné deux ou trois idées pour finalement aboutir à la pochette du premier album qui avait quand même été assez marquante. Puis, il a répété la recette à base de filtre sur des infos qu’on lui donnait. Cette fois-ci, tout est plutôt venu de lui et du groupe en général. J’ai été un peu moins inspiré donc j’ai juste observé. Maintenant, on se connait bien, ça roule tout seul et ça correspond vraiment à notre identité.
Julien : Pour la toute première version du premier album, on avait voulu faire comme une imitation d’un vieux grimoire qui n’avait finalement pas fonctionné et qui s’est retrouvé à l’intérieur du CD. En revanche, pour le livret, il avait fait ce dessin de comète qui, pour la réédition, a été utilisé en guise de pochette. Tout cela a ensuite été développé en rapport avec le côté narratif de notre musique.
Jimmy : L’idée de base provient surtout de la collection 1966 des encyclopédies Tout l’Univers qui, à l’époque, était vendue au porte à porte. À l’intérieur, on y trouvait des dessins faits avec une certaine technique. Pour la comète du premier album, c’est le genre de référence qu’on a donné à Carlos. C’est pour ça que, depuis, il y a une cohésion au fil de nos pochettes et cela ne changera jamais, c’est sûr !

L’album a été enregistré avec Benjamin Mandeau, et mixé par Ladislav Agabekov de Nostromo. Qu’est ce qui vous a guidé vers ces deux choix ?

Julien : On connaît Benjamin depuis longtemps parce qu’on a beaucoup travaillé ensemble, depuis qu’on s’est retrouvés à faire une reprise pour une compilation de Pink Floyd. Même s’il a plutôt l’habitude de travailler avec des groupes pop, l’expérience s’est bien passée et, depuis, il progresse d’album en album !
Jimmy : À tel point que ça a été un peu compliqué pour le mastering. Pour te dire, sur Maps of Inferno, on avait un mix qui était de meilleure qualité, qui ne nous a pas permis de mesurer véritablement le travail de Ladislav ! Bref, c’est important de progresser en équipe.

Je trouve que ça contribue aussi au côté intemporel et évolutif de Mars Red Sky. Il y aussi dans ce nouvel album une dimension rituelle, comme si vous étiez des chamans et avec Dawn Of The Dusk, vous avez réussi à inclure tout ça… C’est le secret de votre longévité ?

Mat : Je me rends compte qu’un groupe comme le nôtre, c’est assez précieux et ça se révèle dans le temps. On se rend compte de la valeur des choses, surtout aujourd’hui dans un monde où tout va trop vite, où tout est accessible, où le temps d’attention des gens est aussi raccourci… Dans le business de la musique, on voit beaucoup cet effet de mode, ce besoin de nouveautés. On le ressent et on a pu être ce genre de groupe par le passé. Maintenant, on a la chance d’être un petit peu implantés et, quand tu vois un groupe tourner depuis une dizaine d’années, ça veut quand même dire quelque chose, ça montre un certain engagement.
Julien : Musicalement, on découvre plein de groupes, on apprend des façons nouvelles de jouer, on a d’autres groupes auprès desquels on s’enrichit… Du coup, on arrive avec des idées fraîches.

Avec Mars Red Sound, votre label, vous exprimez aussi votre amour pour le partage de la musique, ce qui reste assez rare malgré tout…

Julien : Oui, on commence à avoir une petite famille, des amis, des groupes qui ont sorti des disques…
Mat : Aujourd’hui, pour de nombreux groupes, c’est difficile de trouver un label et de sortir un disque. Là, l’idée est de lancer des groupes en leur faisant bénéficier de notre réseau. Appelle nous papas ou parrains, comme tu veux, mais c’est de l’entraide pure.

Photos : Jessica Calvo, Julien Dupeyron

ECOUTE INTEGRALE

EN CONCERT

Pas de commentaire

Poster un commentaire